Dans les forêts de Sibérie. Sylvain Tesson

Publié le par Tactile

« Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Etre seul, c’est entendre le silence. Une rafale. Le grésil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'écarte les bras, tends mon visage au vide glacé et rentre au chaud. »

Du coin du feu au fin fond de la Sibérie un livre nous relie avec l’expérience immobile de Tesson. C’est son journal de bord consciencieusement rédigé au jour le jour qui nous offre un lien sincère et humain avec le lac Baïkal.

« Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix. »

Tesson l’aventurier infatigable, a traîné ses guêtres dans les coins les plus reculés de notre planète. Son parcours est fait de mouvements incessants doublé d’un appétit vorace pour l’aventure. Ce qui m’a plu dans l’idée de commencer à lire ses bouquins anté-chronologiquement c’est justement de chercher à comprendre son évolution qui l’a amené à vivre en ermite dans un des coins les plus hostile de notre terre.

« L’éventail de choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres. La forêt resserre ce que la ville disperse. »

Tesson est assurément un marginal rapporté au moule collectif dans lequel tout un chacun cherche une place où se fondre dans la masse. Il a repoussé les limites de son corps étendu ses rêves tout en enjambant les frontières humaine. Il en retire un riche recueil de pensées sur notre condition humaine.

« Une fuite dans les bois ? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l’habitude donnent à l’élan vital. Un jeu ? Assurément ! »

Animé d’une excitation enfantine, Sylvain Tesson s’autorise ce que la société nous interdit : vivre libre. De quoi est-on prisonnier ? De ce que la machine capitaliste nous plante dans le crâne ! En quoi sommes nous soumis à une force qui nous domine ? Demandez vous depuis quand faites-vous vos propres choix.

« L’utopie décroissante : un recours poétique pour individus désireux de se conformer aux principes de la diététique. »

L’ermitage n’est pas une mince affaire, cela demande avant tout une bonne santé, une confiance en soi stable et une conscience puissante. Tout le monde n’est peut-être pas prêt à affronter un hiver sibérien mais sachons admirer et respecter ceux qui le font. S’arracher au système et goûter à une liberté spacio-temporelle est un acte de résistance inscrit au plus profond de notre génome humain.

« Les sociétés n’aiment pas les ermites. Elles ne leur pardonnent pas de fuir. Elles réprouvent la désinvolture du solitaire qui jette son « continuez sans moi » à la face des autres. Se retirer c’est prendre congé de ses semblables. L’ermite nie la vocation de la civilisation, en constitue la critique vivante. Il souille le contrat social. Comment accepter cet homme qui passe la ligne et s’accroche au premier vent ? »

Plus en avant dans cette analyse, j’évoque notre prison mentale. Nous sommes conditionnés à une façon de penser dont il est difficile de s’affranchir tant les outils à disposition du système sont variés, puissants et omniprésents. Pourtant, il me semble qu’une bataille pour faire vibrer l’humain qui est en nous et un combat noble à mener. Il passe nécessairement par un repli matérialiste et un recentrage sur la conscience.

« S'installer dans le réduit d'une hutte sibérienne, c'est gagner la bataille contre l'ensevelissement sous le tombereau des objets »

« Que les huttes puissent tenir le rang de palais, les habitués des suites royales ne le comprendront jamais. Ils n’ont pas connu l’onglée avant le bain moussant. Le luxe n’est pas un état mais le passage d’une ligne, le seuil où, soudain, disparaît toute souffrance. »

« Devenir un manque à gagner devrait être l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et des myrtilles cueillies dans la forêt est plus anti-étatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs. »

Tesson déroule son histoire en s’appuyant sur ses propres expériences et une base bibliographique très pointue. Il a emporté avec lui des chefs d’œuvres de littérature classique qu’il s’envoie à grands coups de vodka. Toutefois, il a beau louer la beauté des lieux et expliquer la nécessité de sa démarche, une certaine mélancolie transpire entre les lignes.

« La solitude : ce que les autres perdent à n’être pas auprès de celui qui l’éprouve. »

Le livre est facile à lire, très rythmé puisque c’est un journal, il offre des chapitres disparates en longueur qui sont à l’image de ce que sont nos journées : plus ou moins remplies de choses pertinentes à partager. L’écriture est sincère, sobre mêlée de réflexions intéressantes et bien tournées. La foule d’extraits que je publie ici donne un aperçut de mon appréciation de l’œuvre. Au final ces passages se suffisent à eux-mêmes et vous pouvez vous contenter de lire ce qui est entre guillemets.

« L’ermitage resserre les ambitions aux proportions du possible. En rétrécissant la panoplie des actions, on augmente la profondeur de chaque expérience. »

« ... la vie ne devrait être que cela : l’hommage rendu par l’adulte à ses rêves d’enfant. Je lutte contre la tentation de prendre une photo. »

Pour conclure, je recommanderais ce livre à quiconque se pose des questions sur son mode de vie ainsi qu’à ceux qui se cherchent une place dans cette société. Ca n’est pas le livre du siècle mais un ouvrage agréable à lire, consistant et qui à coup sûr fera réfléchir son lecteur.

«  Le solitaire des bois a deux amours, le temps et l’espace. Le premier il l’emplit à sa guise, le deuxième, il le connaît comme personne. »

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