Métaphysique des tubes. Amélie Nothomb

Amélie Nothomb parvient à conter une époque que tout un chacun vit sans jamais se remémorer plus que des bribes ou de brèves sensations. Complètement fantasmé ou romancé, cet âge qui s’étend de la naissance aux trois ans est pourtant le socle fondateur de notre personnalité. L’auteur relate son enfance dans cette autobiographie en partie imaginée et emplie de questionnements métaphysiques. À un an son regard s’éveille sur le petit monde qui l’entoure.
« Quelle est la différence entre les yeux qui ont un regard et les yeux qui n’en ont pas ? Cette différence a un nom : c’est la vie. La vie commence là où commence le regard. »
Elle n’est alors qu’un tube. Un tube sorti d’un autre tube. Un tube digestif sans aucune conscience et qui vit au stade d’un légume. Ses parents l’appellent d’ailleurs la plante. Elle se compare à Dieu puisqu’elle n’existe pas à ce stade. À deux ans le tube fait vibrer ses cordes vocales en un long déchirement de tympans : le tube existe et le fait le savoir. S’en suit la révélation de sa vie à travers un bout de chocolat blanc offert pas sa grand-mère. Dès lors Amélie existe et fait preuve de conscience.
« Le regard est un choix. Celui qui regarde décide de se fixer sur telle ou telle chose et donc forcément d’exclure de son attention le reste de son champ de vision. C’est en quoi le regard, qui est l’essence de la vie, est d’abord un refus. »
La vie commence donc avec ce premier souvenir qui se matérialise à travers le plaisir. Le plaisir cette notion qui donne une âme à la petite Amélie qui commence alors à comprendre le monde qui l’entoure. S’en suit l’apprentissage de la parole qu’elle cache à ses parents par prudence et ne délivre que par parcimonie en français ou en japonais.
« ... je ne doutais plus de l’importance de la parole : elle prouvait aux individus qu’ils étaient là. J’en conclus qu’ils n’en étaient pas sûrs. Ils avaient besoin de moi pour le savoir. »
Amélie est une enfant curieuse qui aime nager après avoir manqué de se noyer, qui se pose des questions métaphysiques et se repaît de choses simples. Le plaisir la guide et elle aime continuer à se prendre pour Dieu. Il faut dire qu’au Japon qu’elle habite, les bambins de moins de trois ans sont vénérés tel quel.
« ... dis moi ce qui te dégoûte et je te dirai qui tu es. Nos personnalités sont nulles, nos inclinaisons plus banales les unes que les autres. Seules nos répulsions parlent vraiment de nous. »
Amélie Nothomb parvient l’exploit de nous parler d’une époque méconnue pour la plupart d’entre nous, une période de la vie dont nous sommes étrangers de part notre amnésie. C’est écrit avec un vocabulaire riche et précis sans se vouloir pompeux. Il y a beaucoup de satyre, l’humour est très présent mais bienveillant. Absolument rien à dire de négatif : c’est un livre parfait.