L’Art d’être oisif. Tom Hodgkinson

Hodgkinson propose dans cet ouvrage un traité rétablissant l’oisiveté comme art de vivre. S’appuyant sur de très nombreuses citations, il étaie sa théorie selon laquelle il est plus épanouissant de prendre le temps pour ensuite agir efficacement.
« Chaque matin, dans tout le monde occidental, d’heureux rêveurs sont grossièrement tirés de leur sommeil par une sonnerie déchirante ou un bip électronique lancinant. Le réveil est la première étape de cette transformation vulgaire, que nous nous imposons le matin, du rêveur bienheureux et insouciant en tâcheron anxieux ployant sous le fardeau des responsabilités et du devoir. »
Tout le traité est découpé en 24 chapitres chronologiques partant de l’heure du réveil à 8h et s’écoulant d’heure en heure avec un thème associé. 10h : la grasse matinée, 12h : la gueule de bois, 15h : la sieste, 19h : la pêche, 23h : la révolte, 1h : le sexe, 4h : la méditation. Entre autres exemples.
« Le Saint-Lundi {...} était une tradition institutionnalisée d’évitement du travail. Cette pratique existant au XVII° siècle, elle a perdurée au XVIII° et elle a progressivement disparu au XIX°, détruite par l’industrie. Elle consiste essentiellement dans l’extension du dimanche, jour du Seigneur, au lundi. Au lieu de travailler, les cordonniers et les tisserands préféraient passer leur lundi à boire des bières à la taverne, assister à des combats à poings nus ou à des combats de coqs. »
À chaque heure son thème et un point de vue y est développé, garni de citations enrichissantes, d’exemples et de contre-exemples. Hodgkinson nourri également sa réflexion avec les ultra-productivistes surexcités et malintentionnés dont il démontre le ridicule, usant d’un humour très britannique.
« Comme tout ce qui concerne la paresse, nous devrions résister à la tentation de rejeter ce qui ne cadre pas avec le paradigme productiviste, rationnel et affairé que la société et nous-même nous imposons. Apprendre à vivre peut signifier apprendre à bien vivre une gueule de bois. »
Hodgkinson prône l’art de prendre son temps, d’en redevenir maître pour ensuite l’apprécier à sa juste valeur. Il distingue également oisiveté et fainéantise hébétée qui est souvent l’apanage des gens qui ont travaillé avec beaucoup trop d’ardeur.
« Le cocktail est un corollaire de la culture du labeur : un travail extrême nécessite des boissons extrêmes pour contrecarrer cette misère. Dans la vie du paresseux, où le travail et le jeu sont plus ou moins confondus, une boisson moins forte pourra sans doute suffire. Il me semble que si nous étions vraiment heureux, nous n’aurions pas besoin de boire du tout, même si une vie sans boisson représenterait pour moi une bien triste perspective. »
Tout ce qui pave nos vies est repensé et théorisé de manière approfondie. Parfois l’auteur est très subjectif mais c’expliqué et justifié pour au final présenter un discours très cohérent, moderne ; à contrario de l’obéissance docile à laquelle l’ultra-capitalisme voudrait nous soumettre.
« Le rôle de l’intérieur devrait être à mon avis de s’évader du monde extérieur et non de l’apporter dans nos maisons, de la même façon que le paresseux échappe au monde extérieur en retirant dans son monde mental intérieur. Où pense-t-on ? Dans sa tête et dans son lit. »
Hodgkinson critique avec fougue l’hyper productivisme qui rend fou et égoïste. Il se livre à des saillies tranchantes sur Edison, sur son invention de l’ampoule qui engendrera les 3-8, ou à propos de Thatcher qui honnissait le sommeil jusqu’à détester la faiblesse qui la couchait au lit.
« Au lieu de se rendre tout droit au pub après le travail, un grand nombre de fêlés haïssant le plaisir semblent affectionner les centres de remise en forme, où ils ne descendent pas des chopes de bière brune en bonne compagnie mais courent en solitaire sur des tapis roulants en regardant des écrans de télévision géants censés les distraire de leur ennui. »
En bon anglais, il met en avant le rôle social des pubs, y oppose bière et cocktails, prend systématiquement le parti des travailleurs et des gens du peuple, le tout avec flegme et humour. On est loin des valeurs austères des rigoristes protestants dont on nous rabâche les écrits.
« Les campagnes moralisatrices des gouvernements contre les drogues sur le modèle : Dites non, tout simplement ! sont vouées à l’échec car un grand nombre de gens veut tout simplement dire OUI ! Nous avons une ahurissante rage de vivre, une disposition naturelle pour le plaisir qui doit être cultivée. »
Ce livre endosse un caractère social. De nombreux passages traitent des rapports oppresseurs/opprimés et Hodgkinson répugne la forme productiviste actuelle. Plusieurs aspects de sa critique font écho aux idées du parti Décroissance (étude disponible sur ce blog). Sans faire de la politique, on sent tout de même que ses valeurs sont humanistes.
« Toute une génération de travailleurs était si habituée à un travail constant et à un emploi du temps contrôlé par un inconnu qu’elle ne savait pas se divertir par elle-même et avait besoin d’être divertie. »
Tout ce traité sur l’oisiveté décrit un processus qui vise à atteindre cet art de vivre. L’oisiveté s’acquiert à force de se connaître soi-même, par l’accès à la conscience de soi ainsi qu’au monde qui nous entoure. Elle se gagne via un parcours initiatique afin de ne pas se corrompre avec les vices de notre époque.
« Si nous étions heureux avec moins, ne s’ensuit-il pas que nous devrions travailler moins, puisque nous aurions alors besoin de moins d’argent ? »
Au final, c’est la maîtrise de notre temps qui compte, apprendre à définir nos priorités et à relativiser les urgences du monde contemporain. Les religions en prennent également pour leur grade, comme tout ce qui dégrade l’intelligence humaine et les rythmes naturels.
« Nous nous laissons prendre à un double piège : nous travaillons si dur que nous ne nous accordons pas de temps pour rêver, et donc nous continuons de travailler parce que nous n’avons pas eu le temps rêver à une alternative. Si vous vous êtes fait virer, je vous suggère d’en rendre grâce au Très-Haut. »
Hodgkinson livre ici un magnifique manuel d’art de vivre. Afin de ne pas paraître farfelu il appuie son analyse sur une bibliographie épaisse de 7 pages avec de grands penseurs, philosophes, artistes, écrivains, parmi lesquels : Burns, Wilde, Nietzche, Stevenson, Lafargue, Jerome K. Jerome, Hefner, Lin Yutang, Miller, ... Une réussite qui va à contre courant du monde périmé dans lequel on nous cœrce.