Utu. Caryl Férey

Publié le par Tactile

La suite de Haka s’intitule Utu et encore une fois c’est une réussite signée Férey. Fitzgerald ayant éliminé son mal être d’un coup de 38 dans la cervelle, beaucoup de mystères restent en suspens. Paul Osborne, le fidèle adjoint de Fitzgerald est exilé en Australie, en plein rêve bleu : les neurotransmetteurs saturés de drogues lorsqu’il apprend le suicide de son chef et ami. L’agent qui le déterre de sa léthargie est mandaté par Timu pour le ramener à Auckland poursuivre l’enquête.

« Osborne avait sorti un sachet plastifié de sa mallette : il en retira deux grosses têtes d'herbe qu'il broya dans sa paume, les renversa sur une feuille de papier, saupoudra une petite quantité de cocaïne et roula le joint avec une rapidité étonnante. Il fuma le tout en quelques bouffées âcres qui dansèrent un instant dans l'habitacle avant de filer à toute vitesse par la vitre ouverte. »

La Nouvelle-Zélande vit des heures agitées et les tensions raciales attisées par un contexte politique nauséabond créent une atmosphère électrique où chacun se regarde avec méfiance. Osborne également. Lui qui est mal vu de sa hiérarchie tant son franc parler et ses méthodes, à minima cavalières, énervent en plus haut lieu. Mais l’ancien lieutenant de Fitzgerald a appris de son patron qu’il valait mieux se méfier des cravateux.

« Ils roulaient à tombeau ouvert sur l'asphalte détrempé. Le vent hurlait par les vitres entrouvertes, Paul grilla des cigarettes : Orewa, Waiwera, Pohuehue, les scories volaient dans le cendrier, les cheveux d'Hana dans l'habitacle, les champs s'étendaient sur les vallons, ça sentait l'herbe mouillée après l'orage et l'odeur de sa peau à pleins poumons. »

Paul Osborne est un pakeha (blanc) et pourtant il est également un grand spécialiste de la culture maorie. Cet intérêt, il l’a cultivé pour Hana, son éternel amour qui hante ses remords. Au sein de la police ses talents ne sont pas à démontrer et lorsque le vol d’une hache de guerre sacrée intervient au domicile de Melrose, collectionneur et promoteur immobilier, Timu envoi Paul en lui recommandant le plus grand tact, pas vraiment sa spécialité… non du tout.

« Fitzgerald ne se livrait à personne mais Osborne l'aimait bien : dans le grand foutoir de ses trente ans, c'est lui qui l'avait formé, soutenu. Ils auraient même pu devenir de vrais amis s'ils l'avaient souhaité mais ils étaient tous les deux décemment trop seuls pour jouer aux camarades. C'est sans doute ce qui les liait. Leur solitude et leur secret. »

Le quotidien de la police étant particulièrement agité, la découverte du buste d’une femme à moitié dévoré par les requins déleste Melrose de la présence inquisitrice d’Osborne. Désormais il jongle sur plusieurs enquêtes à la fois, enquêtes qui auront naturellement le bon goût de s’entrecroiser pour former une intrigue complexe et bien menée.

« Abandonnant ses vêtements puants sur les rochers, il se glissa dans l'eau. Elle était froide et noire ; lui, brûlant de fièvre, la tête cassée, et des morts qui s'échappaient des fissures... »

Férey nous offre encore une pépite de polar ethnologique qui divertit et instruit à la fois tant il est bien documenté. La cadence infernale de l’histoire est ponctuée de mémoires d’enfance de Osborne et d’Hana autour de la culture maorie. Les dialogues sont au cordeau, et si la narration garde sa distance de troisième personne, on est réellement sous l’emprise de Paul qui nous catapulte dans ses excès. Si vous croyez que Fitzgerald était fou, attendez de découvrir son adjoint. L’écriture est de la même teinte que son narrateur : gore, violente, barbiturique. Une tuerie !

« Osborne lui jeta un dernier regard, comme un caillou.
- J'ai couché avec ta Rosemary l'autre soir, dit-il soudain, dans la cuisine. Pendant que tu dormais... L'enfant qu'elle attend n'est pas de toi, mais de moi.
-
Hein?

- Tu pourras t'en rendre compte dans neuf mois si tout va bien, dit-il en enclenchant la première. Un petit souvenir de notre collaboration, connard ! »

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