Vipère au poing. Hervé Bazin
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Vipère au poing se classe dans les œuvres connues de tous et qui a eut droit à son adaptation cinéma. Ça n’est pas nécessairement gage de qualité quand il s’agit de littérature contemporaine, ça l’est à propos d’un livre du siècle dernier. Les premières pages, garnies d’un vocabulaire désuet, parfois râpé laissent place à de malicieuses tournures de phrases qui flattent la langue française. Jean Rezeau raconte l’histoire familiale à La Belle Angerie, dans le pays craonnais de la Région d’Angers.
« Affrontons le ridicule. Il faut bien que vous puissiez renifler l'odeur de ma sainteté, dans laquelle, toutefois, je ne suis pas mort. »
Jean est le plus rebelle et téméraire des trois frères (Frédie, Marcel), un jour il saisit une vipère par le cou, la tenant dans son poing jusqu’à la tuer d’asphyxie ce qui lui vaudra un nouveau châtiment corporel. La vie à La Belle Angerie est rustre. La famille bourgeoise Rezeau n’a plus les moyens d’assumer ses titres et vit à l’économie. Cette austérité ne sacrifie en rien à l’éducation religieuse rigoriste dont sont affublés les enfants.
« Grandes lectures et courtes réflexions. Beaucoup de connaissances, peu d'idées. Le sectarisme des jugements pauvres lui tenait quelquefois lieu de volonté. Bref, le type des hommes qui ne sont jamais eux-mêmes mais ce qu'on leur suggère d'être »
Monsieur Rezeau est oisif, les épaules voutées par la crainte du Monde, il occupe son temps à l’étude des insectes. À la maison, c’est Madame qui tient la culotte. Issue d’une famille riche, elle use de sa dot pour maintenir une main de fer sur la maison et ses habitants. Elle y édicte les pires règles et châtiments pour sévir sans raison sur ses propres enfants avec pour excuse la religion et la bonne éducation. Un jour Frédie qui vient de subir les foudres de Mme Rezeau la rebaptise ; désormais tous les trois ont un ennemi commun et il a un nom : Folcoche.
« Effectivement. Jouer avec le feu, manier délicatement la vipère, n'était-ce point depuis longtemps ma joie favorite ? Folcoche m'était devenue indispensable comme la rente du mutilé qui vit de sa blessure. »
Avec l’assentiment silencieux du père de famille, Folcoche embauche des abbés chargés de l’éducation des enfants. Ils seront austères, injustes, lâches et méchants. Les uns après les autres, ils devront se plier au petit jeu machiavélique de Mme Rezeau qui s’acharne, avec méthode et sadisme, à martyriser ses trois fils. Aux humiliations succèdent les privations de nourriture, de chaleur, de soins ou d’hygiène. Les sévices corporels sont là pour brimer les envies de justice et d’émancipation mais les enfants, sous l’impulsion de Jean résistent à la tyrannie.
« La rage au cœur, je dus assister au sauvetage de Folcoche par elle-même. Sauvetage par elle-même, je dis bien, car elles étaient deux dans l'Ommée : la fragile Mme Rezeau, toute couturée, sans muscles, manquant de souffle, et l'indomptable Folcoche, décidée à vivre et à faire vivre son double, malgré l'eau sale qui lui trempait les cheveux, lui rentrait dans la gorge, vivement recrachée, malgré nos silencieuses prières à Satan. »
L’histoire tourne finalement au duel entre Jean et sa mère. A force de grandir, celui-ci s’épaissit, rendant les coups moins efficaces ; il développe aussi un art de la manigance, essayant de rendre coup pour coup sans jamais offrir à son ennemi le plaisir de ses plaintes. Au fur et à mesure, leur combat épique qui se déroule sur des années transforme Jean en une copie de ce qu’il déteste le plus : sa mère, Folcoche.
« Quels sont du reste les qualités et surtout les défauts que je ne tienne pas d'elle ? Nous partageons tout, hormis le privilège de la virilité, que le Ciel lui a refusé par inadvertance et qu'elle usurpe allégrement. Il n'est aucun sentiment, aucun trait de mon caractère ou de mon visage que je ne puisse retrouver en elle. »