Le Neveu d'Amérique. Luis Sepùlveda
Tout part de cette promesse faite à son grand-père : rejoindre le village andalou de Martos, que ce dernier à du fuir pour l'eldorado américain ("uno es de donde mejor se siente"). Luis Sepùlveda tourne son récit sous formes de nouvelles qui pourraient avoir un lien mais qui laissent dans le doute quand à une ligne directrice. Laissons cela de côté, de toute façon c'est une œuvre inspirée de fait personnels et réels dont le fil conducteur est le voyage, la découverte et les rencontres.
Chilien, Sepùlveda a grandi sous la coupe protectrice de son grand-père, un anticlérical espiègle qui a surement orienté les convictions politiques de Luis. Le papy se faisait plaisir en payant de dizaines de limonades à son petit fils pour ensuite aller le faire pisser sur les portes des églises. Plus tard, l'auteur devient leader étudiant, politisé communiste et sera un soutient à Allende contre la dictature Pinochet/CIA. Ceci qui le vaudra le trophée : arrestation-torture-emprisonnement-exil.
C'est pourtant de cet exil forcé que Sepùlveda tire toute la force de son voyage. Il va explorer l'Amérique du Sud avec une soif inégalée de liberté pour ensuite honorer la mémoire de son grand-père en retournant au village de ce dernier, en Andalousie. Avant ce but ultime, le récit se remplit de paysages savoureux que j'ai eu la chance de parcourir : le froid glacial de Behring, la jungle d'Ecuador, les lacs de Puco, la Patagonie argentine… Rendons hommage au titre original : Patagonia express, encore une fois on peut déplorer la traduction française qui cherche encore et toujours à se démarquer (si vous voulez publier : écrivez bande de nazes).
"Officiellement c'est l'été dans l'Emisphère Sud, mais le vent glacé du Pacifique n'accorde aucune importance à un tel détail et souffle en rafales qui engourdissent jusqu'au os et obligent à chercher la chaleur dans les souvenirs"
Cela étant dit, les personnages sont également originaux : un ancien nazi absout de ses pêchés, un aviateur alcoolo, une famille d'artistes en déclin. Tous sont merveilleusement insérés dans le récit, sans fausse note dans le style, tout coule de source, personnages, paysages, descriptions et dialogues s'entrainent les uns les autres comme à la kermesse.
"L'horloge sert à peser les retards. Il arrive aussi que l'horloge tombe en panne et comme l'auto perd de l'huile, l'horloge perd du temps."
"Cite-lui Huidorobro : Quand l'adjectif ne donne pas la vie, il tue."
Enfin cet ouvrage est une ode à la liberté. En dénonçant les dictatures sud-américaines et en évoquant la captivité, Luis Sepùlveda chante LIBERTAD ! Le décors s'y prête, et le narrateur transpire cette soif d'espaces, de possibles. On sent tout l'esprit latino-américain à travers ce livre, la fraternité des peuples (même entre chiliens et argentins) et ce petit quelque chose d'indescriptible que l'on perçoit lorsque deux latinos se rencontrent. Ce bouquin est superbe, du très grand !
"Notre repas, sur cette table couverte de papier d'emballage, s'était transformé en une petite fête de famille partagée par un Argentin et un Chilien, lors d'une soirée ordinaire d'Amérique latine. Le temps de la peur était resté dehors, où un portier invisible et inflexible se chargeait, avec mépris, d'interdire l'entrée de cet hôte indésirable."
"Alors le regard du vieux me traversa la peau, parcourut mon squelette, franchit la porte, remonta la rue, descendit les coteaux et les combes, se posa sur chaque arbre, chaque goutte d'huile, tache de vin, trace effacée, chaque ronde chantée, chaque taureau sacrifié à l'heure fatidique, chaque coucher de soleil, chaque ombre insolente de tricorne, chaque nouvelle venue du bout du monde, chaque lettre qui n'arrivait plus, putain de vie, et le silence prolongé jusqu'à ce que l'éloignement devînt absolu."