L’arrache-cœur. Boris Vian

Publié le par Tactile

Douce satyre d’une société malade décrite via la métonymie d’un petit village reculé au bord de l’océan. Boris Vian excelle dans la poésie du grinçant, doublant l’exécrable du magnifique grâce au surréalisme de ses inventions littéraires. Comment faire du beau en critiquant l’absurde ? Demandez à Vian qui lui seul sait insuffler de la majestuosité aux histoires tristes.

 

Dans ce roman, un psychiatre (Jacquemort) tombé de nulle part arrive dans une maison au bord d’une falaise et en sa qualité de docteur participe à l’accouchement de Clémentine. Trois jumeaux viennent au monde et il devient l’hôte de la maison. Lui qui est physiquement transparent d’impersonnalité cherchera via la psychanalyse à se remplir des émotions des autres pour éprouver quelque chose. Dans ce village il est vite confronté à l’absurde et à la violence vile des mœurs ignominieux des gens.

 

« J’ai une maison et beaucoup d’or, mais je dois digérer la honte de tout le village. Ils me paient pour que j’aie des remords à leur place. De tout ce qu’ils font de mal ou d’impie. De tous leurs vices. De leurs crimes. »

 

Dans cette société imaginaire, on brutalise les enfants, tue les apprentis inefficaces, crucifie les chevaux fainéants, décapite les vaches à faible rendement et martyrise les vieux. Ici, le prêtre glorifie la luxure de Dieu et organise des combats de boxe contre son Diable de sacristain. Tandis que les fidèles se livrent aux pires ignominies, la honte de tous est absorbée par La Gloïre, un vieux richement payé d’un or dont personne ne veut.

 

« Jacquemort n’avait pas opéré depuis son arrivée à la maison et cette odeur un peu bestiale ne lui déplut point. Par un souci d’humanité bien compréhensible, il évita de lui faire un enfant. »

 

Angel, le mari de Clémentine est rejeté, il rêve d’ailleurs et partira sans retour. Les jumeaux grandissent et volent littéralement de leurs propres ailes tandis que leur mère se rend malade de l’éventuel drame qui puisse leur arriver. Pour parer au danger, elle fait pénitence, s’inflige des souffrances qui prouveront son amour maternel et finit par enfermer ses enfants pour leur propre salut. De son côté, Jacquemort a déjà aspiré jusqu’à l’en tuer toute la personnalité d’un chat qui s’est confié à lui et cherche désespérément quelqu’un à analyser.

 

« On ne reste pas parce qu’on aime certaines personnes ; on s’en va parce qu’on en déteste d’autres. Il n’y a que le moche qui vous fasse agir. On est lâches. »

 

Le surréalisme de Vian fait écho aux maux de notre société et l’absurdité de son récit résonne comme une critique implacable de notre monde contemporain. Tout ça est enveloppé d’un doux lyrisme avec des mots inventés, une narration qui passe de la première à la troisième personne et jongle entre les personnages. C’est rose, c’est bleu et ça pique ; et vlan’, vl’a du Vian !

 

« Sans Diable, votre religion prendrai un aspect un peu gratuit. »

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