S’abandonner à vivre. Sylvain Tesson

Sylvain Tesson propose ici un recueil de très courtes nouvelles dont les héros font souvent penser à l’auteur lui-même, ainsi la frontière entre fiction et autobiographie se fait fine et alambiquée.
« Il est rare, en voyage, de vivre des jours conformes aux idées que l’on s’était forgées avant les grand départs. D’habitude, voyager c’est faire voir du pays à sa déception. »
De jolies histoires où les émotions humaines s’expriment mieux à travers les situations délicates, dans la sueur ou les frissons. Un chapitre par personnage pour une immersion plus réelle dans les tête de ses héros.
« Les hommes des sables n’avaient jamais respiré l’iode. Ils peuplaient des plages sans mer, des rivages arides qu’ils essayaient de fuir depuis que la sécheresse s’y était abattue. »
L’auteur aime la diversité des paysages et ce livre est en soit un voyage tant les héros évoluent dans des décors diamétralement opposés. On reconnait vite l’expérience d’explorateur d’un Tesson grand russophile et amoureux des cultures clivantes.
« Le défilement d’une rive fluviale aux environs du cercle arctique est une expérience métaphysique de la monotonie. »
Chaque chapitre-nouvelle s’ouvre avec une citation d’un grand auteur. Cioran, Bukowski et Nietzche par exemple, ce qui exprime la très grande culture de l’auteur. Ca pourrait paraître prétentieux à force mais Tesson est un boulimique de lecture à la mémoire infaillible, admettons que ce name dropping le soulage quelque part.
« Napoléon : les boulets lui caressaient le bicorne et lui ne cillait pas, la main au poitrail, caressant doucement ses rêves - ou son téton ? »
Naturellement la culture russe est omniprésente à travers les lignes de ces récits, totalement partisan, et du coup critique envers l’occidentale dont il répugne la fragilité et les épanchements. Cela lui donne l’occasion d’introduire la notion du pofigisme.
« Pofigisme n’a pas de traduction en français. Ce mot russe désigne une attitude face à l’absurdité du monde et à l’imprévisibilité des évènements. Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient. »
Voilà en somme un recueil très agréable à lire qui emplie la curiosité et fait voyager. Le vocabulaire riche et précis éclaire le talent de Tesson même si parfois je trouve que ça apporte trop de lourdeur : complètement occidental pour le coup.
« Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l’histoire de l’humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d’un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous des tombeaux de cadeaux. »