Martin Eden. Jack London

Publié le par Tactile

Jack London, oui Jack London. Le résumé devrait s’arrêter net tant il est farfelu d’en dire plus avec une analyse qui n’égalera jamais le plaisir, que dis-je, le bonheur de lire du London. Quel talent, quelle classe, quelle modernité ! Une ode à la Beauté, au stakhanovisme littéraire, à la réflexion appuyée et pourtant libre qui émane de ces centaines de pages quasi auto-biographiques.

 

Martin Eden, est une version romancée de la vie de London, largement inspirée de son parcours personnel chaotique et pourtant si riche. Des océans tumultueux aux rues bouillonnantes de San Francisco ; des bas fonds où se croisent les édentés et les forçats aux salons cossus des bourgeois pédants, Martin Eden, polymorphe atypique, se glisse d’un milieu à l’autre avec une faculté d’adaptation qui révèle sa qualité intellectuelle et sa force de travail.

 

Invité à la table des Morse, une famille aisée californienne, il tombe amoureux de leur fille Ruth et dès lors plus rien ne sera comme avant. La sublime héritière, elle aussi, tombe sous le charme de ses mains calleuses et de sa sensibilité jusqu’à lors enfouie sous d’étranges contrées. Pour la séduire, Martin doit s’adapter à ce nouveau monde et il cherche dans les bibliothèques les codes qui lui ouvriront les portes de ce milieu bourgeois élitiste.

 

Dans les livres, il découvre la Beauté du mot et la puissance de la philosophie. Très rapidement il apprend, progresse et fait preuve de réflexions intellectuelles drapées d’une vision neuve et honnête qui sont l’apanage des gens qui n’ont pas subit le formatage d’une éducation classique. Martin Eden choisit donc les livres à l’Aventure, Ruth aux mers du sud, les bibliothèques aux troquets douteux.

 

Pour soutenir son nouveau choix de vie il doit pourtant donner de sa force de travail alors il retourne aux travaux manuels éreintants. Dans son milieu social, il se sent désormais apatride : plus rien n’a la même saveur. Il a toujours sa puissance de production et son incroyable résistance aux tâches les plus dures mais désormais, ses pensées sont nourries par Nietzsche et Spencer.

 

« Mais il n’avait pas beaucoup le temps de réfléchir ni de se féliciter ; et tout son moi conscient se concentrait sur sa besogne. Son cerveau et son corps sans cesse en action n’étaient plus qu’une machine intelligente ; les problèmes insondables de l’univers n’y trouvaient plus de place et il leur en interdisait l’accès. »

 

Après le travail, Martin s’accorde quatre petites heures de sommeil, consacrant le reste de son temps à la lecture. Il a désormais un but ultime : écrire pour être publié. Devenir écrivain lui apporterait la reconnaissance sociale qu’il mérite et consacrerait ses idées aux yeux de tous. C’est par l’intellect que Martin Eden compte se faire une situation et ainsi ouvrir les portes du cœur de Ruth.

 

« Partout, un sentiment d’inquiétude l’avait poursuivi, partout une voix l’avait appelé ailleurs et il avait erré à travers la vie, mécontent, jusqu’au jour où il avait trouvé les livres, l’art et l’amour. »

 

En faisant preuve d’un travail acharné Martin commence son travail d’essayiste romancier. Bien que Ruth désapprouve ce choix de carrière en lui conseillant de se trouver « une situation » ; il envoie ses manuscrits dans tous le pays. Systématiquement elles lui sont renvoyées. Sa vie est rude, il peine à se nourrir. Obstiné, il redouble de travail alors que sous son bureau s'empilent les manuscrits refusés et les dettes.

 

Envers et contre tous, Martin Eden se fait violence. Plus on le refuse, plus il essaie. Plus on l'échaude, plus il dénigre l’establishment des éditeurs frileux. Ses élans du cœur sont furieux et très vite il en arrive à détester le milieu social dans lequel il cherche à exister. Toute sa quête est celle de la formule parfaite. Il tâtonne, essaye, recommence jusqu’à satisfaction. Pourtant c’est bien l’incompréhension et la rage qui ressortent de ses vaines tentatives.

 

Alors qu’il est au plus bas, que la famille Morse essaie de saper ses fiançailles avec Ruth, il rencontre Brissenden, un bourgeois acariâtre qui le comprend et partage avec lui sa misanthropie aigue. Leurs échanges sont de haute volée, abordent la philosophie et la poésie avec force de débats. Cette rencontre est un stimulant pour Martin qui cherche la formule parfaite, opiniâtrement, sans relâche.

 

L’œuvre de London traite du processus d’écriture, prône les valeurs de travail, celles de l’exigence et érige en graal la Beauté des mots. On y retrouve une approche sociale avec la notion de lutte des classes. L’aspect anthropologique est également un axe fort : seuls les forts survivent et le socialisme en vogue est, selon lui, un courant de pensée anti-évolutif puisqu'il aide, en vain, les plus faibles.

 

Je ne pourrais dire que du bien de ce livre sublime qui vibre d'une rage et d'une soif d’apprendre incommensurable parée d’une force brute, authentique, généreuse et purement individualiste. Comme dans tous les livres de London on retrouve cette notion d’appel : un besoin urgent à assouvir qui ne s’explique pas et qui transcende l’Homme en son cœur. Ce livre donne envie d'écrire. Magistral tout simplement !

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