Prague Fatale. Philip Kerr

Publié le par Tactile

Philip Kerr nous invite dans l’univers fascinant qu’est la Seconde Guerre Mondiale, à travers un polar historico-romancé. Si la guerre est son sujet de prédilection, l’intrigue policière est son médium. En convoquant l’Histoire, il fait de nous les témoins privilégiés des crimes nazis, au cœur de l’horreur.

Son roman commence en 1942 à Berlin. L’apogée du troisième Reich est finie, la RAF anglaise bombarde la capitale Allemande, à l’Est la campagne de Russie s’essouffle tandis que la « solution finale » demeure insoluble. Les Berlinois vivent sous couvre-feu dans une ville rationnée et sporadiquement privée d’électricité ce qui ne fait qu’augmenter le nombre crimes et délits. Beaucoup de travail en vue pour Bernard (Bernie) Gunther.

« Mais nous sommes à Berlin, Gottfried. Fermer les yeux, c'est notre spécialité. J'indiquai la tête arrachée posée à nos pieds. Vous verrez ce que je vous dis. »

Bernie est capitaine dans le service du renseignement SS, il revient bouleversé de Kiev où la Shoa est appliquée à la mitraillette contre des milliers de civils. Profondément antinazi il peine à garder ses sentiments et sa morale pour lui mais ses talents de policier lui permettent de rester dans les bonnes grâces du pouvoir SS. Au département des homicides de la sinistre Kripo, il doit désormais élucider le meurtre d’un ouvrier immigré.

« Je pouvais voir qu'il mourait d'envie d'en griller une. Tout comme moi. Sans cigarettes, l'Alex faisait l'effet d'un cendrier dans un salon non-fumeurs. »

Le meurtre de ce cheminot hollandais vient se recouper avec l’agression d’une jeune femme, Arianne Tauber dont il tombe amoureux. L’enquête progresse à peine que le général Reinhard Heydrich, Reichsprotektor de Bohême-Moravie (Prague) le convoque à ses côtés pour lui commander une enquête liée à l’espionnage tchèque et ses leaders : les Trois Rois. Bernie se sent passablement mal à l’aise en compagnie de tous ces pontes du parti et particulièrement auprès de Heydrich.

« Je l'ai souhaité moi aussi. Et même tout récemment. Je vais me coucher en voulant me tirer une balle dans la tête et je me réveille en me demandant pourquoi je ne l'ai pas fait. C'est la raison pour laquelle je suis ici, je présume. Vous représentez une alternative très divertissante à l'idée de suicide. »

La déprime de Gunther n’égale que le mépris qu’il porte aux nazis, pourtant son instinct de flic est aiguisé dès la première nuit quand se produit le meurtre d’un des assistants du Reichsprotektor, qui est plus dans une pièce close de l’intérieur. La tension est à son comble car tout le monde est présumé coupable ; des subalternes aux généraux, tous passeront un moment désagréable en compagnie de Bernie et de son assistant Kahlo qui tous deux exècrent les nazis et font de l’impertinence un style. Heydrich leur a donné carte blanche, désormais ce sont eux qui vont faire mal.

« je me glissai sur la terrasse pour fumer une cigarette dans l'obscurité. C'était comme un lieu auquel j'appartenais : un monde de créatures crépusculaires qui hurlaient et hululaient, et où l'on pouvait se cacher pour éviter des prédateurs encore plus grands. »

Philip Kerr produit un livre très documenté qui fait la part belle à l’Histoire et c’est original pour un roman policier, osé même mais tellement réussit. On ne sent pas le filtre d’un regard contemporain mais une ambiance qui paraît authentique, avec comme toile de fond l’angoisse de ces années de terreur. Son écriture est très subtile, pleine de jeux de mots et de réflexions sur la condition de l’Homme. Le personnage de Bernie Gunther est jubilatoire tant il s’oppose à la doctrine de son époque.

« Pour être courageux, il faut d'abord avoir peur. Fais-moi confiance. Tout le reste n'est que témérité. Et ce n'est pas le courage qui permet de rester en vie, mon ange. C'est la peur. »

Sans faire de l’uchronie, l’histoire de ce roman s’imbrique parfaitement dans la Grande Histoire avec ces personnages réels et terrifiants. Le livre nous dépeint avec plus de nuance la responsabilité du peuple Allemand aux crimes nazis. Côté roman, il y a du Agatha Christie dans ce quasi huis-clos et un rythme perturbant puisque les chapitres sont découpés en journées. La treizième journée fait 180 pages par exemple. Une très belle découverte ce Philip Kerr

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