Couché dans le pain. Chester Himes

Publié le par Tactile

« C'était la rue des paradoxes : on y voyait des jeunes filles-mères allaitant leurs bébés, se nourrissant d'espoir ; des gros gangsters noirs circulant les poches bourrées de fric dans leurs gigantesques cabriolets aux couleurs éclatantes, en compagnie de leurs poufiasses de grand luxe. Des ouvriers éreintés par leur journée de travail, les épaules collées aux murs des immeubles, profitaient de ce que leurs patrons blancs ne pouvaient pas les entendre pour discuter à haute voix. De jeunes voyous, qui se réunissaient pour aller rosser une autre bande, fumaient de la marijuana afin de se donner du courage. Tout le monde cherchait à fuir les pièces minuscules où l'on étouffait, dans l'espoir de trouver quelque soulagement dans la rue ; mais celle-ci était rendue plus étouffante encore par les gaz d'échappement des voitures et par la chaleur qui rayonnait des murs et de la chaussée de ciment. »

Fin des années 50, Harlem, un petit matin. Le révérend Short, pasteur déjanté à la Sainte-Culbute, se penche dangereusement à la fenêtre d’une veillée funéraire. Il observe le vol d’un sac de pièces de monnaie appartenant au gérant blanc de l’épicerie d’en bas. S’en suit une course poursuite et la chute du révérend que quelqu’un pousse de la fenêtre. Une bascule du troisième étage qui doit se finir sur le pavé mais un miraculeux panier remplit de pains moelleux amortit sa (sainte) culbute. Plus tard un corps est retrouvé dans le même panier : deux enterrements pour le prix d’un.

« Une chose est sûre, en tout cas, il n'a pas été liquidé pour son fric, donc il a dû l'être à cause d'une gonzesse. Cherchez la femme, comme disent les Français. N'empêche, d'ailleurs, que c'est peut-être une autre fille qui a fait le coup. »

La suite sera tout aussi sanglante avec l’arrivée dans le jeu de Fossoyeur Jones et de Ed Cercueil à la gueule vitriolée. Autour des deux flics gravite une palanquée de personnages hauts en couleurs, des noirs américains de Harlem. Les inspecteurs sont chez eux dans ce quartier où tout le monde les craint et pourtant l’intrigue se joue longuement sans eux. Les autres protagonistes occupent des rôles complexes où chacun cache son jeu façon Agatha Christie.

« Deux Irlandais, du côté de Hell's Kitchen, se sont mis à s'engueuler pour savoir si les Irlandais descendaient des dieux ou si les dieux descendaient des Irlandais. Ils se sont descendus à coups de pétard. »

Les interactions entre les personnages au cœur du meurtre de Valentines Haines sont parfois déroutantes et nous laissent sur une fin surprenante. Pourtant le récit est court, le rythme élevé. Himes se passe des longues descriptions, il est incisif, inspiré et juste au mot ; à l’économie intelligente. C’est clairement pas mon préféré de Chester Himes mais là c’est juste une question de goût et la présence trop ponctuée de Ed Cercueil et Fossoyeur.

« Tous ces gens mangeaient des tranches bien glacées de pastèques rouge vif, recrachaient les pépins noirs et transpiraient sous les rayons verticaux du soleil de juillet. Ils sirotaient des canettes de bière, des litrons de vin et de petites bouteilles de limonade et de Coca-cola, achetées dans les épiceries voisines toutes constellées de mouches. Ils suçaient des chocolats glacés qu'ils se procuraient à la charrette à bras du Père La Joie. D'autres mastiquaient des sandwiches garnis de succulentes côtes de porc grillées, jetaient les os soigneusement nettoyés aux chiens et aux chats en vadrouille, et lançaient les miettes de pain aux essaims de moineaux déplumés qui hantent habituellement Harlem. »

Mention spéciale à nos assassins de la littérature américaine : les traducteurs pouet-pouet qui ont osé massacrer une nouvelle fois le titre original : A Jealous Man Can’t Win. Malgré une traduction un peu vieillotte ce huis-clos de Himes au cœur d’Harlem reste agréable à lire.

« Vous aviez raison, après tout. Les gens à Harlem agissent pour des raisons auxquelles personne d'autre au monde ne songerait. Fossoyeur poussa un grognement. »

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article