L’or. Blaise Cendrars
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L’or est l’histoire vraie de Johann August Sutter né Suter en Suisse dans le comté de Bâle en 1803. Il est marchand mais suite à une faillite il se retrouve criblé de dettes qui doivent le conduire en prison. Acculé, il quitte tout (cinq enfants et une femme) puis part sans rien en poche jusqu’à États Unis via le Havre. Sutter est audacieux et intelligent, il enregistre toutes les anecdotes et histoires qu’on lui raconte, se servant de l’expérience empirique des autres pour tracer son projet. De plus, il est très débrouillard et sait tout faire avec presque rien. Arrivé à New York en 1834, un vent frais de liberté l’aspire et le pousse à l’Ouest.
« Johann August Suter débarque le 7 juillet, un mardi. Il a fait un vœu. À quai, il saute sur le sol, bouscule les soldats de la milice, embrasse d'un seul coup d'œil l'immense horizon maritime, débouche et vide d'un trait une bouteille de vin du Rhin, lance la bouteille vide parmi l'équipage nègre d'un bermudien. Puis il éclate de rire et entre en courant dans la grande ville inconnue, comme quelqu'un de pressé et que l'on attend. »
À New-York, il apprend plusieurs langues et écoute les récits des voyageurs partis à l’Ouest. En 1839 il lève un groupe de pionniers et part direction Vancouver avec pour idée de conquérir la mexicaine Californie en profitant des faiblesses de gouvernance et d’unité de ce coin si lointain. Il est quasi impossible de passer tout droit, il faut transiter par Saint-Louis, puis l’Oregon, Vancouver, Hawaï et l’Alaska. Il passe un peu de temps dans le Kansas où il rencontre beaucoup de voyageurs.
« Mais ce qui intéresse avant tout Suter dans ce trafic, c'est la parole vivante des voyageurs qui montent et descendent les rivières. Sa maison est ouverte à tous et sa table toujours mise {…} L'accueil est tel que la maison ne désemplit pas ; aventuriers, colons, trappeurs qui descendent chargés de butins ou misérables, tous également heureux de se refaire là et de se remettre des fatigues de la brousse et des prairies ; chercheurs de fortune, casse-cou, têtes brûlées qui remontent, la fièvre aux yeux, mystérieux, secrets. Suter est infatigable, il les régale tous, passe des nuits à boire, interroge insatiablement son monde. »
Arrivé en Californie en 1839 il fonde de la Nouvelle-Helvétie, aussi appelée Fort Sutter aux alentours de Yerba Buena (San Fransisco). Il se fait naturaliser mexicain pour obtenir les bonnes grâces du Mexique et créer son exploitation agricole. Il a tout planifié et tout se déroule selon son plan. Sa compréhension des hommes lui permet d’éviter toutes les querelles entre clans et ethnies. Dans le même temps, son domaine est un franc succès. Il y emploie 150 personnes pour gérer : son bétail, ses moulins, ses champs, sa tannerie, ses ateliers, sa distillerie. Sutter a alors 44 ans et est multimillionnaire.
En 1847, Sutter commence les travaux d’une scierie en dehors de son exploitation et le 24 janvier 1848, un de ses employés (James Wilson Marshall) découvre une pépite d’or lors des travaux de fondation. Il demande à tout le monde de tenir sa langue : ça ne marche pas et la ruée vers l’or s’enclenche. Le phénomène est mondial, des migrants des quatre coins du globe viennent occuper son domaine, piller l’or, lui voler ses ressources. Ses employés l’abandonnent pour cette fièvre contagieuse, tout est détruit, Sutter est ruiné.
« C'est l'or.
Le rush.
La fièvre de l'or qui s'abat sur le monde.
La grande ruée de 1848, 49, 50, 51 et qui durera quinze ans.
SAN FRANCISCO !
Johann August Suter, je ne dirai pas le premier milliardaire américain, mais le premier multimillionnaire des États-Unis, est ruiné par ce coup de pioche. Il a quarante-cinq ans. »
On l’appelait le Général Sutter et son histoire n’est pas aussi romanesque que l’on voudrait le croire. Ne voulant pas « laver l’or » lui-même il se lance dans une procédure judiciaire pour faire valoir ses droits qui vont le mener une seconde fois à la ruine, puis à la folie. Il mourra fou et pauvre à l’âge de soixante-treize ans.
Si ce pionnier a longtemps fasciné jusqu’à illustrer le rêve américain, de récentes recherches historiques ont permis de revoir cette « amnésie coloniale » qui dépeint une réalité plus sinistre. En effet, il a été prouvé que Sutter a commercé dans la traite d’esclaves, notamment canaques et peuples natifs américains qu’il maltraitait comme du bétail. Il a également trafiqué des enfants et mutilé son personnel. À Sacramento, sa statue a été déboulonnée par la mairie, ne reste plus de lui que sa légende et la version édulcorée présentée par les Suisses.