J’ai réveillé le tigre. Sarah Marquis

Publié le par Tactile

En quête d’un mot, un mot plus beau et plus intriguant que les autres : thylacine, le nom commun du tigre de Tasmanie. Porté disparu par faute d’extermination humaine depuis près d’un siècle, le thylacine n’existe que dans les mémoires collectives et les visions furtives de quelques illuminés. De toute manière son environnement s’est réduit comme peau de chagrin et pour espérer le trouver il faut se plonger dans l’Ouest tasmanien.

« Je suis arrivée hier, je ne connais intentionnellement rien de ce lieu ni de cette île, je veux la sentir, la respirer, la comprendre d'une autre manière que celle qu'imposent toutes les informations que je peux facilement glaner sur internet. »

Sarah Marquis est une exploratrice de renom, elle a marché, marche et marchera là où peu d’humains sont allés. Au-delà du défi physique en solitaire, la soif de découverte se conjugue chez elle avec l’amour de la nature. L’aventurière a une casquette scientifique également puisque toutes ses expéditions sont prétexte au recensement des espèces sur lesquelles elle porte un regard émerveillé.

« Tout semble mis sur pause l'espace de quelques secondes, assez pour qu'un malaise plane dans l'air. Je retire ma main et lui son regard, et comme si rien ne s'était passé, je fais face à la cour intérieure et m'éloigne en me faufilant dans une rue étroite. Je savoure doucement ce liquide salvateur : son café est relevé, puissant, d'une douceur amère, un peu comme lui. »

Cette aventure est une quête, à la recherche du thylacine s’il existe encore et derrière ce prétexte se niche l’occasion d’aller fouler un terrain que peu d’humains ont parcouru. Si certains aborigènes de Tasmanie ont dû vivre dans ces régions reculées et brassées par les vents pluvieux d’Antarctique, seules quelques ermites ont laissé une trace de l’homme. S’il reste des tigres en Tasmanie c’est forcément sur cette côte Ouest.

« « Bienvenue ! » dis-je en plissant les yeux comme pour mieux ressentir ce qui m'arrive. C'est un peu comme si on m'enrobait d'une couverture apaisante et moelleuse pleine de certitude. Je souris calmement. Je sais maintenant que je suis au bon endroit au bon moment. »

Sarah Marquis est méticuleuse, rien n’est laissé au hasard pour cette expédition périlleuse et éloignée de la civilisation. Son périple commence des années auparavant avec le repérage par cartes et sur place, puis avec une préparation physique très intense, chez elle en Suisse. Une fois en Australie, il lui faut organiser les contingences matérielles, préparer les ravitaillements et planifier les secours. Sarah Marquis a une team où chacun est spécialisé.

« Je sais que cette agitation à la surface ne sert à rien, puisque loin des regards, au fond de chaque âme nous sommes tous liés. J'ai aussi remarqué que mes pas m'amènent toujours là où je dois aller et si je sors de mon sentier de vie, je reçois une bonne claque ou je me fais un croche-pied ici et là jusqu'à ce que je retrouve mon chemin. »

L’expédition dans l’Ouest tasmanien est redoutable à plusieurs égards. Tout d’abord : la météo y est épouvantable, humide, fraîche. Ensuite il y a la faune : des serpents mortels, des moustiques affamés. Enfin il y a la flore : dense, humide, coupante, cassante qui représente le plus sérieux des obstacles sur un terrain non défriché, sans chemin ni sente. Poser ses pieds là où personne ne l’a fait, telle est la véritable gloire des exploratreurs.

« Cette vie de loup solitaire, je l'ai rêvée, choisie, créée et réinventée à chaque fois. Tout est éphémère ; c'est comme se tenir sur un ballon géant, si tu ne bouges pas, tu perdras l'équilibre. »

Sarah porte un sac de 35kg et tout dedans est utile. C’est un poids énorme auquel elle est à la fois habituée et préparée. Mais tout de même : ça ralentit le rythme et c’est parfois dangereux pour l’équilibre. Dangereux jusqu’à en tomber et se briser l’épaule. Seule au milieu de du bush il lui faut rejoindre un point dégagé pour se faire héliporter et soigner. Trois semaines plus tard l’aventurière repartira et finira son périple. Si elle doute avoir trouvé un thylacine, elle a sans aucun doute réveillé le tigre qui sommeillait en elle.

« J'ai passé ainsi des centaines d'heures à observer chaque caillou, insecte, brindille au sol, et à vibrer avec eux, jusqu'à ce qu'ils me deviennent familiers au point de faire partie de mon monde. Seul celui qui est resté immobile peut apprécier dans sa forme décomposée et essentielle la beauté du mouvement. »

Une aventure qui suscite énormément de respect et remue des souvenirs de cette région du monde si étrange et hostile lorsqu’on s’y aventure. L’écriture est joyeuse, positive, pleine de motivation et d’envie. Les connaissances de l’auteure sur les plantes sont riches et ce livre se lit très facilement. Il manque juste un je ne sais quoi pour le rendre plus attachant, plus intéressant ou plus divertissant même si cela reste une belle aventure.

« Je laisse tomber mon sac au sol et je m'assieds sous cette pluie battante. Le moment est solennel. Et voilà que je ressens mon corps d'une manière étrange, presque médicale ou mathématique : je sens mes chairs, mes cellules, ma masse corporelle, je prends conscience de l'air que j'utilise, du poids que j'impose à la terre, comme si je reprenais possession de mon corps, un organe après l'autre. Puis il se met à pleuvoir à l'intérieur de moi, et mes larmes coulent, sans sanglot, absentes de joie ou de douleur... Elles m'apparaissent comme une caresse amicale de la Terre sur mon épaule, me disant : merci d'être là avec moi, je veillerai sur toi, bienvenue à la maison... Les yeux fermés, je laisse tomber ma tête sur ma poitrine, je ne peux que murmurer Merci Merci. »

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