Paz. Caryl Férey
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Ce nouvel opus de Caryl Férey se déroule en Colombie, l’occasion de parler du pays, de son histoire, de sa culture qui sont un formidable terrain de jeu et prétexte à la violence. Pourtant, c’est au fond d’un lit, post-coït que commence ce roman. Lautaro Bagader se réveille dans les bras d’une femme, une de plus collectionnée sur Tinder qu’il doit chasser prestement pour filer sur le théâtre d’un meurtre sordide. Le colonel de la police criminelle de Bogotà congédie sa conquête d’un soir qui s’avère être Diana Duzan une journaliste d’investigation à El Espectador.
« Lautaro s'éveilla, la main posée sur la fesse d'une femme. Il ne savait pas si le jour était levé derrière les stores, si son horloge biologique lui jouait des tours, pas même le nom de la fille qui lui tournait le dos dans le lit king size ; entre deux eaux, il se laissa flotter dans le marigot. »
Lautaro est le fils du procureur général, Saul Bagader et autour d’eux les cadavres s’empilent, enfin, des morceaux de cadavres. Dans tout le pays des membres mutilés sont découverts, probablement largués par avion, comme aux plus sombres heures de la Violencia : à l’apogée de la guerre entre les FARC, les narcos, les milices privées d’auto-défense AUC composée d’anciens paras et l’armée officielle corrompue. Ces similitudes historiques replongent Lautaro dans son histoire personnelle, lui qui a été trahit par son frère Angel, engagé auprès des FARC. A la tête d’une unité d’élite – Falcon – et épaulé par Diuque son fidèle lieutenant à la coupe iroquoise et aux poings fracassants il va devoir parcourir le pays mais aussi son passé personnel pour élucider cette montée de violence.
« Son travail lui prenait l'essentiel de son temps, celui des autres aussi lorsqu'elle décidait de s'y plonger. Fatalement, ses rapports avec les hommes en pâtissaient. »
De son côté Diana Duzan a découvert qui était le ténébreux séducteur de Tinder avec qui elle a partagé une nuit. Solitaire mais courageuse, la journaliste va s’intéresser à Lautaro Bagader, son alter égo masculin, essayer de comprendre son histoire à trous et faire le lien avec l’enquête de ce dernier. A la recherche de la vérité elle va s’investir corps et âme quitte à prendre des risques inconsidérés. Aidée par Jefferson, son ex et photographe, elle suivra des pistes parallèles de celles du colonel.
« Andrea Brown n'était pas un ami, en dépit de ses familiarités, juste un collègue compétent, c'est tout ce qu'on lui demandait. Lautaro n'avait pas d'amis, que de mauvaises répliques. »
Troisième narrateur de ce récit : Angel Bagader qui évolue incognito sous le pseudo de Orlando Mercer. Il vient tout juste de sortir de huit années de prison grâce au plan de pacification et de réhabilitation pour les anciens FARC. Il tente de se réinsérer sur la côte caraïbéenne mais son nom refait surface lorsqu’il retrouve la tête d’un cadavre sur une plage. Son père et son frère vont le manipuler pour qu’il prenne des risques et qu’il les aide à résoudre cette affaire en lui faisant croire qu’il pourra retrouver sa fille qu’on lui a enlevé.
« Diuque s'était coupé les cheveux en iroquois à ce moment-là, en signe de guerre, ou parce qu'il était réellement frappé. Diuque ne disait jamais un mot sur sa vie privée, son enfance, sa famille, pas même une plaisanterie salace sur les femmes. »
Plus de quarante morts et un charnier humain plus tard, il ne fait aucun doute pour tous les acteurs de ce sanglant scénario que la Violencia est de retour. On retrouve des cadavres démembrés façon chularitos qui en faisaient des compositions type vase à fleurs, le tronc servant de récipient. Cet épisode, en pleine campagne présidentielle, relance la discorde alors que jusque-là le pardon et l’intégration étaient de mise. Saul Bagader jouera sa partition dans un rôle de politicien et de père autoritaire.
« On fait souvent la révolution par amour des autres, mais c’est souvent sur les autres qu'elle finit par s'acharner ! »
L’histoire est assez longue à démarrer, les éléments de contexte sont nombreux et les mettre en place tout en alternant la narration à plusieurs personnages rend le début long et fastidieux. Clairement ça manque de rythme pour ne s’accélérer que dans le dernier tiers du récit. Même les personnages manquent de profondeur et de relief, beaucoup de pages pour peu d’effet, clairement pas le récit le plus aboutit de Caryl Férey et pourtant le sujet ne manque pas de piment.
« Quand une ethnie disparaissait, une façon de penser le monde disparaissait avec elle, son savoir et ses solutions aux futurs problèmes de l'espèce humaine, réduisant d'autant le champ des possibles, ces spectres métis et colorés qui lui tenaient à cœur. »
Si on se cultive avec plaisir en lisant Férey, on peut aussi regretter que cet ouvrage soit moins abouti que tous les autres qu’il a délivré jusque-là. La faute à une histoire de la Colombie complexe et à la multiplicité des personnages. Les dialogues sont plutôt pauvres et les descriptions trop fades pour donner du tonus à ce roman brinquebalant. On est loin de Mapuche ou Condor dans la tension littéraire.
« La déflagration l'avait renvoyé dans le vieux monde qu'il croyait avoir quitté : au fond, la parenthèse Rachel n'était qu'un leurre, le bonheur une pute qui se payait sur le dos de l'espoir et le ramenait pire qu'au naturel. »