La Félicité du loup. Paolo Cognetti
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Au cœur du Val d’Aoste se situe Fontana Fredda, un village de moyenne altitude et de faible densité de population. Fausto Dalmasso, quarantenaire perdu entre plaines et montagnes s’y est installé depuis peu et se fait embaucher comme cuistot pour la saison d’hiver chez Le Festin de Babette. Écrivain en errance, ce métier qu’il apprend lui plaît et il n’est pas contre l’effort ou les belles rencontres.
« Il allait marcher avec le carnet dans son sac et s'arrêtait au bout de deux ou trois heures, sur les hauteurs, là où l'altitude l'inspirait, et là, assis sur un rocher sous le ciel, il tentait de mettre en mots ce qui l'entourait. »
Dans ce restaurant Fausto va rencontrer Silvia, serveuse de vingt-sept ans dont il s’entiche. Elle aussi est artiste et ils se rapprochent pour chasser le froid de l’hiver. Naît une relation tendre mais sans promesses qui s’étend jusqu’à la fin de la saison. Le rythme soutenu du travail n’empêche pas Fausto de se lier d’amitié avec la patronne, des clients comme Santorso ou sa vieille voisine Gemma qu’il aide au besoin, tradition montagnarde oblige.
« Tu sais qui m'a ruiné la vie, moi ? Jack London. Parce qu'il faut pas croire que je me sentais habité par des histoires extraordinaires, c'était surtout l'aventure qui m'attirait. Écrire, boire, tirer le diable par la queue. Avoir des filles à écrivains. »
Le printemps venu, Le Festin de Babette ferme, Silvia s’en va en quête d’aventure et de haute montagne en partant travailler dans un refuge d’altitude pour l’été. Fausto retourne à Milan régler un divorce et faire le point sur sa vie. Le temps de solder ses comptes, les montagnes et Silvia lui manquent déjà alors il reprend le chemin des écrins. Fausto apprend que Santorso s’est gravement blessé alors là aussi il va donner la main.
« Les flammes scintillaient entre ses cheveux noirs, et sur la carte le glacier était blanc et azur, strié de fines nervures bleues. »
Silvia s’aguerrit au travail acharné et à l’altitude. Elle rêve de glaciers et de sommets, d’aventures polaires. Fausto a trouvé un job de cuisinier dans la forêt où il cuisine pour les bucherons l’été. Il vit à Fontana Fredda le temps de la saison et marche beaucoup. Certains soirs il grimpe les quelques heures et kilomètres de dénivelés qui le séparent de Silvia pour aller la retrouver à son travail et passer la nuit avec elle.
« Fausto repensa au livre de Chatwin sur les aborigènes d'Australie, qui utilisaient des chants plutôt que des cartes. Dans le chant de Santorso, il y avait tout ce qu'il croisait sur le chemin, un rocher avec une forme étrange, un arbre solitaire, le champ d'un paysan, et en le mémorisant le voyageur mémorisait du même coup la piste. »
Sans promesses, sans attente, la vie se déroule à un rythme différent en montagne où tout apparaît sous un autre jour, plus pragmatique et solide face à la force des éléments. La solidarité, la résilience et le courage définissent ces habitants taciturnes qui expriment leur gratitude dans des sourires peu amènes mais authentiques. Pendant le temps de quatre saisons décrites par Cognetti, le loup revient, seul puis en meute, allégorie du parcours de Fausto dans son nouvel environnement.
« Pourtant je reste persuadée que seul celui qui s'habitue est vraiment capable de voir, car son regard ne s'embarrasse plus de sentiment. Les sentiments sont des verres colorés, ils trompent l'œil. »
Difficile de ne pas confondre le protagoniste et l’auteur tant ce récit semble inspiré de la vie romancée de son créateur. On y retrouve les thèmes chers à Cognetti : la montagne et ses hommes mais jamais l’alpinisme. Rien n’est homérique dans ce récit, pourtant on navigue en pleine Iliade.