Chien Blanc. Romain Gary

Publié le par Tactile

Californie, fin des années 60, l’État le plus riche du pays est au feu et à sang. Blancs et noirs s’entretuent au paroxysme d’une époque raciste. Pour raconter ces troubles au sein de la société américaine, Gary utilise l’allégorie comme procédé narratif. En se servant de la figure d’un gros chien blanc qu’il recueille chez lui, il va raconter cette période trouble qui divise les États-Unis.

« Il m'observait, la tête légèrement penchée de côté, d'un regard intense et fixe, ce regard des chiens de fourrière qui vous guettent au passage avec un espoir angoissé et insupportable. Il avait un poitrail de lutteur et, bien des fois, plus tard, lorsque mon vieux Sandy le taquinait, je le vis refouler l'importun par la seule puissance de son thorax, comme un bulldozer. »

Romain Gary a une vie très confortable de diplomate et d’intellectuel reconnu. Il partage sa vie avec Jean Seberg, une jeune actrice emprunte d’idéalisme et d’équité qui consacre son temps et son argent à défendre la cause noire. Gary ressent tout ça avec du recul, lui l’apatride letton et juif devenu français d’adoption, perdu entre toutes ses cultures. C’est en promenant son vieux chien Sandy qu’il tombe sur Batka, un solide berger allemand autrement dénommé chien blanc.

« Depuis, j'appris que la position en équerre est pour le python une position de défense, en présence d'un danger, et je sus ainsi que Pete l'Étrangleur et moi avions vraiment une chose en commun : une extrême prudence dans les rapports humains. »

Gary aime le contact des animaux mais il sent tout de suite qu’il y a un problème avec Batka qui se jette sur les noirs avec une haine viscérale. Cet ancien chien policier semble avoir été dressé comme un féroce meurtrier raciste. Grâce à ses nombreuses connaissances dans le monde du cinéma Romain Gary se tourne vers Carruthers le dresseur officiel d’Hollywood. Dans son équipe il y a un grand noir, Keys qui est un soigneur et un dresseur hors pair. Ce dernier va mettre un point d’honneur à mettre au pas Chien Blanc.

« Ce chien a été dressé spécialement pour attaquer les Noirs. Je vous jure que je ne me fais pas des idées. Chaque fois qu'un nègre s'approche de la porte, il devient enragé. Les Blancs, rien, il remue la queue et donne la patte. »

Au début Keys peine à mater le chien mais en s’acharnant ce dernier change et parvient à accepter le dresseur. Ça n’est pas assez : il veut complètement changer la nature de l’animal en le faisant de venir un Chien Noir. Gary voit de moins en moins Batka et continue à nous raconter l’activité militante de sa femme avec des afro-américains plus divisés que jamais.

« Je roule à travers Coldwater Canyon avec, dans le cœur, assez de pierres pour bâtir encore quelques beaux lieux de prière. »

Autour de l’auteur à succès se pressent des nombreuses personnalités du monde des Arts et de la politique. Activistes, acteurs, réalisateurs, musiciens, et même Bobby Kennedy prennent place dans ce récit. Tous adressent le problème du racisme en Amérique et personne ne semble trouver de solution.

« Il est moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haineuses venir s'abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie. Il est moins grave de perdre que de se perdre. »

Lorsque les émeutes des Watts explosent, la tension est à son paroxysme. Seberg se sent menacée et Gary veut rentrer en France pour vivre les évènements de mai 68 à Paris. La troisième partie du livre s’y déroule, là où une partie du conflit américain a été exporté. Traitant du sujet de la guerre du Vietnam par le prisme des afro-américains il raconte le destin de certains objecteurs de conscience qui refusent de s’impliquer dans cette guerre.

« J’appelle société de provocation tout société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. »

Gary offre une écriture riche, poétique et légère pour rendre compte des évènements raciaux vécus dans l’Amérique des années 60. Il opte pour un ton neutre sans choisir son camp et critique largement les différents acteurs de ces mouvements. Cynique et provocateur mais moderne et protéiforme comme un universalisme qui vient finalement s’écraser sur le grand mur des divisions raciales contemporaines.

« Je ne suis jamais parvenu à changer mon regard. C'est encore celui de mes vingt ans. Madeleine, comme tu es jolie. J'ai toujours été plus sensible aux femmes jolies qu'aux femmes belles : les femmes belles ont toujours l'air de n'avoir besoin de personne. »

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